Les relations entre le Conseil municipal de la commune du Golfe 4 et le régime représenté par le ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et du Développement des territoires sont assez conflictuelles sur bien des sujets, notamment l’adoption du budget exercice 2022, l’adressage des rues et le droit de préemption de l’Etablissement public autonome d’exploitation des marchés (EPAM) sur la mairie. Devant la presse ce vendredi 29 avril dans les locaux de la salle II de la Direction diocésaine des œuvres de Lomé (DDOL), en clôture de la première session ordinaire du premier trimestre de l’année 2022 qui s’est tenue du 12 au 29 avril, le maire Jean-Pierre Fabre et ses adjoints ont tout déballé et fait part de leurs intentions devant ces situations.
Ils étaient en tout quinze (15) points à être inscrits à l’ordre du jour de cette session qui venait de se clôturer dont l’étude et l’adoption du budget primitif exercice 2022, la présentation de la situation financière du premier trimestre 2022 et les échanges sur les stratégies de mobilisation et de recouvrement des taxes municipales, l’état d’exécution des marchés publics de 2020 à 2021, l’exposé sur la gestion des risques de catastrophes et menaces dans la commune, la présentation du site web (de la commune) et du rapport d’exécution du plan de communication, entre autres. Mais trois (03) sujets principalement ont monopolisé l’attention au cours de cette conférence de presse : le budget exercice 2022, l’adressage des rues et le problème EPAM.
Le maire Jean-Pierre Fabre a saisi l’occasion de la présence des médias pour exposer en long et en large les trois problèmes, après le mot introductif de la 1re adjointe, Me Isabelle Ameganvi qui a planté le décor. Cette conférence de presse, le Conseil municipal l’a voulue la plus « didactique possible » et donc l’a axée sur la loi portant décentralisation statuant sur les prérogatives des communes, notamment les différents types de compétences – propres aux communes, partagées avec les structures étatiques et transférées. Des questions pertinentes ont alimenté le débat au cours de cette rencontre avec la presse qui aura duré plus de deux heures d’horloge.
Budget exercice 2022
Deux milliards cinq cent vingt-quatre millions soixante-dix-neuf mille six cent neuf (2 524 079 609) FCFA. Voilà le budget adopté par la Conseil municipal du Golfe 4 en recettes et en dépenses et ayant force exécutoire dont un milliard neuf cent quarante-huit millions cinq cent trente-huit mille neuf cent quatre-vingt-cinq (1 948 538 985) FCFA consacré au fonctionnement, soit 77,20 % du budget total et cinq cent soixante-quinze millions cinq cent quarante mille six cent vingt-quatre (575 540 624) FCFA à l’investissement, soit 22,80%. Mais cela n’a pas été un long fleuve tranquille, la mairie ayant subi l’obscurantisme du ministère de tutelle.
En effet, contrairement aux habitudes, le budget n’a pas reçu la validation du ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et du Développement des territoires, Payadowa Boukpessi. Et ce, malgré sa conformité avec la lettre de cadrage n°1009/MATDDT/SG/DDCL datée du 17 novembre 2021 portant orientations générales sur l’élaboration et l’exécutif des budgets des communes exercice 2022, son vote à l’unanimité des conseillers municipaux le 13 décembre 2021, sa transmission et son entérinement par le Préfet du Golfe en date du 23 décembre 2021, la validation du Plan de passation des marchés publics de la commune par la Direction nationale du contrôle des marchés publics (DNCMP), son envoi par bordereau N°157/MATDDT/RM/PG/CG4/SG du 28 décembre 2021 au ministre pour approbation…
A en croire les 2e et 3e adjoints au maire, Akouété Tsolényanu et Mikem Anumu, la commune du Golfe 4 fait partie des toutes premières sur les cent dix-sept (117) en tout que compte le Togo, sinon est la toute première, à transmettre son budget pour entérinement. Mais plus de quatre (04) mois après, il n’est toujours pas validé par le ministre Payadowa Boukpessi. De là à soupçonner une volonté manifeste de blocage pour empêcher la mairie de déployer ses activités, le pas est vite franchi.
Face à la situation, le Conseil municipal a dû user des prérogatives à lui conférées par l’article 354 de la loi n°2007-011 du 13 mars 2007 relative à la décentralisation et aux libertés locales, modifiée par la loi n°2018-003 du 31 janvier 2018, la loi n°2019-006 du 26 juin 2019 et la loi n°2021-020 du 11 octobre 2021 qui stipule : « Dans les trente jours qui suivent la date de réception du budget primitif, du collectif budgétaire ou des autorisations spéciales, le ministre chargé de la décentralisation doit donner son approbation. L’approbation est réputée acquise si, passé le délai de trente jours, aucune suite n’est donnée ». Sur proposition du Conseil municipal, une délibération rendant exécutoire le budget primitif exercice 2022 a été adopté et autorise la maire à le mettre en oeuvre.
Adressage des rues
Le sujet de l’adressage des rues a occupé une très large part de cette conférence de presse. Le Conseil municipal du Golfe 4 l’a voulu ainsi, « non pour alimenter la polémique, mais surtout pour profiter de cette affaire pour expliquer (aux journalistes) des parties importantes de la loi sur la décentralisation ». Cette décision annoncée le dimanche 24 avril dernier au cours d’un meeting des Fédérations ANC du Golfe 4 portant changement de noms à treize (13) rues, avenues et boulevard sis sur le territoire de la commune a en effet suscité la réaction du ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et du Développement des territoires qui, à travers « une note aux maires », déclarait nulle et de nul effet cette initiative. Profitant de cette rencontre avec la presse, Jean-Pierre Fabre et ses adjoints ont démonté les arguments de Payadowa Boukpessi et présenté sa sortie comme « un abus de pouvoir ».
« Les fondements légaux de la décision du Conseil municipal du Golfe 4 sont solides, abondantes et imparables. La référence à l’article 385 de la loi sur la décentralisation est inappropriée pour un vote portant sur une décision relevant des compétences propres d’une commune. L’absence du décret prévu à l’article 385 et évoqué par le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et du Développement des territoires n’a pas, à ce jour, gelé les actions de la commune, y compris celles relevant de compétences partagées. Les compétences propres ne peuvent être considérées comme compétences transférées par l’Exécutif dans notre pays parce que ces compétences auraient été, pendant plus d’une décennie, exercées par des délégations spéciales non élues auparavant (…) L’annulation par une simple « note aux Maires » de la décision du Conseil municipal constitue un abus de droit. L’article 164 de la loi sur la décentralisation dispose en effet que « l’annulation des actes relève de la compétence du juge » », peste le Conseil municipal du Golfe 4 dans sa déclaration liminaire.
Jean-Pierre Fabre et ses adjoints disent constater « encore une fois que certains membres de l’Exécutif font de la résistance quant à l’application de la loi sur la décentralisation ». Et d’insister afin que la presse, les organisations de la société civile et les citoyens en prennent connaissance, se l’approprient et se chargent de la vulgariser auprès de la masse. La quintessence des articles 82 et 385 invoqués par le ministre à l’appui de sa sortie a été rappelée aux journalistes afin d’entretenir leur religion sur le sujet. Le premier (82), en rappel, statue sur les compétences propres des communes parmi lesquelles l’adressage des communes logée dans la rubrique « Urbanisme et habitat ». « Des décrets d’application en conseil des ministres déterminent, en tant que de besoin, les modalités de transfert de compétences et de ressources correspondantes, de consultation de collectivités territoriales par l’Etat, de cadre général de règlement intérieur des conseils des collectivités territoriales et des modalités techniques et financières de partage des prestations entre les collectivités territoriales et l’ANASAP…», indique le 385.
Le problème EPAM
Entre la mairie du Golfe 4 et l’EPAM, ce n’est pas le grand amour, un simple euphémisme d’ailleurs. Le conflit est né depuis l’accaparement de la gestion de des deux (02) marchés relevant de son territoire, Adawlato et Gbossimé, à ladite mairie par le ministère de tutelle et son attribution à l’EPAM. Les deux entités sont depuis lors sur le ring et un mémorandum présenté au Conseil municipal sur le différend fait état de l’historique de ce conflit, des échanges de courriers, de l’octroi de sites à l’EPAM pour des projets de développement, de l’installation des commerçants et revendeuses sur le domaine public relevant de la commune du Golfe 4 par cet établissement, notamment le long des voies dont le corridor international Abidjan-Accra-Lomé-Cotonou-Lagos, « dans l’anarchie la plus indescriptible », de la collecte dans huit (08) quartiers du Golfe 4 des taxes par l’EPAM sans reverser un centime à la mairie et sans assurer l’assainissement, la salubrité, le balayage, le curage des caniveaux, etc.
« L’EPAM sème le désordre sur notre territoire », peste Jean-Pierre Fabre. « Les désordres créés par l’EPAM sur le territoire de la commune du Golfe 4 autour des marchés d’Adawlato, d’Attikpodji, de Gbossime et les quartiers environnants sont innombrables et multiformes. L’EPAM est une anomalie incompatible avec l’existence des communes qui ont pour mission de veiller à organiser toute activité, notamment commerciale, sur le territoire de manière rigoureuse et responsable en évitant le désordre et les pollutions de toute nature dont l’EPAM n’a cure », relève le mémorandum. Il y a visiblement un conflit d’intérêt car Payadowa Boukpessi, tout en étant ministre de tutelle des communes, donc du Golfe 4, est également Président du Conseil d’administration de l’EPAM.
Ce bras de fer n’est pas sans conséquences sur le fonctionnement de la commune. « Le refus actuel par le MATDDT de valider le budget exercice 2022 de la commune du Golfe 4 n’est rien d’autre qu’une mesure de représailles exercée par le MATDDT contre le Conseil municipal pour ses positions sur l’EPAM. Cette attitude vise à paralyser le fonctionnement de la mairie du Golfe 4 qui n’arrive plus à faire face à plusieurs de ses engagements dont le paiement des factures de balayage et de curage de caniveaux, d’éclairage public, d’entretien et de réparation des feux tricolores ainsi que l’acquisition des fournitures et autres matériels de fonctionnement. La célébration de la fête du 1er mai par les agents communaux est largement compromise de ce fait », déplore le Conseil municipal. Ce n’est manifestement pas le dernier épisode de cette rixe entre le Golfe 4 et l’EPAM. « Vous verrez bientôt là où ça ira », a déclaré le maire Jean-Pierre Fabre.