Les maires élus le 30 juin 2019 et installés depuis quatre mois vivent un véritable chemin de croix. Entre indisponibilité des fonds publics, difficultés administratives et matérielles, ils se débrouillent sic) pour gérer au mieux les mairies, en attendant qu’il plaise à l’autorité de leur fournir les moyens. Certains sont obligés de piocher dans leurs propres poches pour ce faire. C’est le cas de Victor Anani Djogbessi (photo), maire de la commune de Bas-Mono 1. Dans cet entretien accordé au site de l’info et du divertissement letabloid.com, il lève le voile sur ses tribulations à la tête de sa municipalité. Qu’à cela ne tienne, il nourrit de grandes ambitions pour sa commune qu’il veut ériger en référence au Togo et appelle les populations à espérer…
Quatre mois environ après votre prise de fonction, quel bilan faites-vous de vos actions à la tête de la Commune de Bas-Mono 1 ?
J’ai été investi le 16 octobre 2019 comme maire de la commune de Bas-Mono 1 dans des conditions telles que nous ignorons tout des actifs non financiers et financiers de notre commune. Malgré les directives du ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités territoriales exigeant de faire l’état des lieux lors des passations de service, l’exécutif sortant n’avait pas permis de faire l’inventaire du patrimoine communal.
A l’entame de notre exercice, sur le plan des ressources matérielles, nous ne disposions ni d’un local pour abriter les bureaux de la mairie, ni de matériel bureautique pour traiter et photocopier les documents, ni même de mobilier, même pas une seule chaise. Tout le mobilier et le matériel informatique proviennent de ma société. Sur le plan des ressources humaines, le cabinet du maire est inexistant ; nous n’avons même pas un assistant administratif à notre disposition. Dans ces conditions, je suis contraint de saisir et traiter, voire multiplier presque tous les courriers et/ou documents que je dois produire. Voilà un peu l’état des lieux.
Maintenant en termes d’actions, en novembre 2019, un directeur d’école publique m’a sollicité pour répondre à l’une de ses doléances qui est l’établissement des jugements supplétifs pour des apprenants du cours moyen deuxième année (CM2) qui doivent être présentés à l’examen du CEPD 2020. Avec l’appui financier d’un parrain cadre du milieu, l’audience foraine a eu lieu le 20 décembre 2019 et cent huit (108) apprenants ont bénéficié de leurs jugements supplétifs. Je profite de l’occasion pour remercier tous ceux que se soucient du bien-être de nos populations qui végètent déjà dans la misère. Il est constaté que des élèves de terminale des deux (02) lycées de la commune ne possèdent pas de certificat de nationalité, pièce indispensable pour les futurs bacheliers ; cent quatre-vingt-dix-neuf (199) élèves ont été recensés. Un parrain médecin togolais vivant en France a voulu aider des apprenants des écoles primaires pour leur procurer des équipements optiques ; soixante (60) ont été examinés et huit (08) bénéficieront d’équipements optiques.
Ce sont de petites actions peut-être anodines, mais qui réconfortent les parents dans notre capacité à mieux faire si les moyens sont mis à notre disposition. A cette étape de notre mandat, le bilan est relativement positif, malgré les contraintes du moment.
Nous avons appris que les budgets ne sont pas encore mis à la disposition des maires. Comment arrivez-vous alors à gérer le quotidien à la tête de votre mairie?
Au moment où je réponds à vos questions, soit près de quatre (04) mois après ma prise de fonction, sur le plan des ressources financières, depuis notre prise de fonction le 16 octobre 2019, je suis dans l’impossibilité d’émettre le moindre mandat, donc incapable d’effectuer la moindre dépense, sinon sur mes propres fonds, à cause d’une indisponibilité chronique de fonds public, alors que notre commune continue de verser systématiquement au Trésor public ses recettes qui se chiffrent actuellement à plus de 6 millions de francs CFA. Je n’ai pas cessé d’exposer cette situation de manière formelle et informelle au Trésorier, mais sans résultat jusqu’à ce jour. Malgré les nombreuses rencontres avec le Trésorier de la Préfecture, les discussions avec le Trésorier Régional à Tsévié et enfin les promesses de mes deux interlocuteurs à régler ces questions financières, les résultats tardent toujours.
Cette situation a fait que nous sommes obligés, avec les maigres ressources engendrées par les taxes à prélever auprès des populations déjà appauvries, de nous équiper d’abord en cette première année d’exercice 2020, avant de penser à faire des investissements proprement dits dont les populations ont besoin.
Il y a une passivité générale des maires au vu des espoirs nourris par les populations avec leur élection. Est-ce que vous n’êtes pas talonné par vos administrés qui ne voient encore rien venir?
Cette passivité est liée aux conditions dans lesquelles nous avons hérité des mairies. Beaucoup de textes, huit (08) au moins, restent à prendre par les autorités du pays. Faisons un petit exercice en parcourant la Loi n°2019-006 du 26 juin 2019 portant modification de la loi n°2007-011 du 13 mars 2007 relative à la décentralisation et aux libertés locales modifiée par la loi n°2018-003 du 31 janvier 2018. L’article 81 stipule à son premier alinéa, je cite : « Deux (2) mois après la proclamation des résultats définitifs des élections locales, les élus locaux sont conviés, dans chaque région, à une cérémonie solennelle présidée par le ministre chargé de la Décentralisation pour leur présenter la politique de la décentralisation et les priorités d’action du gouvernement ». Du 17 juillet 2019 au 17 février 2020, sept (07) mois sont passés, et on a l’impression que les communes sont les derniers soucis de nos autorités.
Nous essayons de communiquer et d’informer nos administrés par des canaux traditionnels sur les conditions de travail et ils essaient de comprendre. Mais jusqu’à quand ? Aujourd’hui, nous pouvons nous targuer de dire que notre légitimité est confortable.
Un aperçu des projets phares nourris pour votre commune ?
Pour les prochains six (06) ans, et ce, conformément à notre programme de campagne, nous créerons les espaces d’une parfaite communication entre les citoyens et leurs élus. Nos actions seront guidées par les conclusions ou les recommandations issues du Plan de développement communal (PDC) dont l’exécution pourra s’étaler sur plusieurs années, voire des décennies. On envisage la création du site web http://www.communebasmono1.tg pour ouvrir la commune au monde entier. Radio Mokpokpo FM 90.9 MHz pourra donner la parole aux citoyens et diffuser les comptes-rendus du conseil municipal ainsi que toute information communale. Nous développerons la démocratie participative en nourrissant la concertation régulière avec les associations, les CDQ, les CVD et les groupements de la Commune. Le conseil communal présentera chaque année à la population un bilan d’activités et des projets à réaliser lors d’une journée porte ouverte.
Notre priorité sera aussi de résoudre les difficultés récurrentes de nos concitoyens sur le territoire de la commune : l’accès à l’eau potable aussi bien en milieu urbain que rural sera une réalité ; les villages et hameaux seront dotés de latrines publiques (80%) et de kits solaires pour l’éclairage public ; il y aura la construction des réseaux d’assainissement et de drainage des eaux pluviales pour les centres urbains. Des actes de naissance seront délivrés à tous les nouveau-nés, les certificats de nationalité à tous les élèves en fin du premier degré, et nous ambitionnons d’atteindre 100% à l’horizon 2025.
La transparence et la lutte contre la corruption seront assurées avec l’instauration de règles claires. Pour ce faire, une commission d’éthique et de veille sera créée. Chaque année, des audits externes et indépendants des comptes et des projets à financement extérieur seront réalisés et les résultats rendus publics. Des mesures incitatives en faveur de l’entrepreneuriat en agriculture et en élevage en milieu rural seront développées ; les ordures ménagères seront collectées dans les centres urbains et gérées en respectant l’environnement ; des pistes rurales seront réhabilitées et de nouvelles ouvertes pour désenclaver notre commune.
L’éducation forme et prépare l’Homme pour la vie. Ainsi un accent particulier sera mis sur la scolarisation de nos enfants et celle des jeunes filles, les écoles primaires publiques seront dotées de bâtiments réaménagés ou construits pour être modernes et répondre aux normes de l’éducation. A l’horizon 2025, le taux de fréquentation à l’école sera de 80%. Les meilleurs élèves des écoles primaires publiques seront primés et surtout les filles ; des bourses d’études seront accordées aux 10 meilleures filles nécessiteuses et aux 10 meilleurs garçons nécessiteux de la commune.
Notre stratégie pour aller vers le développement de notre commune passera par la bonne gouvernance pour favoriser nos demandes d’assistance auprès des institutions nationales et internationales de promotion et d’appui aux communes, des prêts auprès des institutions de finance pour nos gros investissements ; la construction d’un stade municipal ; le soutien à la création et au renforcement d’une équipe de football à travers des subventions ; la création d’un comité de jumelage pour susciter des coopérations décentralisées, des partenariats privés publics et pour répondre aux appels à propositions. Nous envisageons aussi de donner une image de marque à notre commune, valoriser sa faune et sa flore, la rendre attractive pour favoriser le tourisme. Il y aura aussi le soutien à la production agricole à travers l’organisation de filières de commercialisation pour les produits locaux, l’amélioration de l’accès aux sites et aux zones de production. Une foire agricole de renommée internationale se tiendra chaque année en rotation dans les principales villes de la commune et il sera créé une police municipale.
La construction d’une mairie propre, est-ce en projet ?
La construction d’une mairie est l’idéal, mais pour le moment, nous sommes en location.
Etes-vous sûr d’avoir les moyens de vos ambitions ?
Nous irons chercher les moyens où qu’ils se trouvent. Nous allons nouer des partenariats par des jumelages dans le cadre de la coopération décentralisée. Des bonnes volontés se sont déjà manifestées depuis notre prise de fonction. Dans le cadre de recherche de partenariats avec d’autres communes étrangères, j’ai demandé et obtenu une rencontre avec l’ambassadeur d’Allemagne au Togo le 09 janvier 2020. Le journal Liberté en a fait écho dans son numéro 3081 du mardi 14 janvier 2020. Nous sommes aussi en train de préparer des rencontres avec des partenaires techniques et financiers.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
Des difficultés, nous en avons énormément, et ce serait fastidieux de les énumérer toutes. Nous en avons d’ordre administratif et financier. L’indisponibilité des fonds publics est l’une des fondamentales, alors même que notre commune continue de verser systématiquement au Trésor public ses recettes. Je suis contraint de faire face à certaines dépenses publiques urgentes sur mes fonds propres. Cette situation plonge inévitablement le conseil municipal dans une léthargie qui limite sa capacité à répondre convenablement à ses obligations de rendre efficacement les services publics pour lesquels nous sommes élus.
Les inventaires n’ont jamais été faits par l’exécutif sortant malgré les directives du ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités territoriales exigeant de faire l’état des lieux lors des passations de service. A ce jour, nous ignorons tout des actifs non financiers et financiers de notre commune. Comment payer les indemnités des sessions, alors que la situation de notre trésorerie reste bloquée ? Ce sont des bonnes volontés nous ont apporté leurs appuis en nous prêtant ou donnant un minimum de mobilier pour démarrer dignement les activités du conseil municipal (…).
C’est une lapalissade que le commencement de toute œuvre est toujours difficile. Nous préférons positiver et nous avons la foi que demain sera meilleur. Nous comptons sur nos forces pour surmonter ces difficultés, et ces atouts, ce sont notre cadre exceptionnel (terres et fleuve à mettre en valeur), les ressources humaines (population jeune), la bonne vision du développement communal par l’exécutif, la forte mobilisation et le soutien de la population au maire (sentiment de légitimité au contact de la population), la détermination de l’exécutif municipal pour mettre en œuvre le développement de la commune, l’existence d’un hôpital de réputation nationale et internationale, les facilités d’échanges avec le Bénin (pont sur le fleuve Mono), la mise en œuvre d’un management moderne des affaires de la commune par le maire, etc.
Monsieur Ouro-Bossi Tchacondoh, un expert en décentralisation, relevait l’autre fois dans une interview, entre autres conseils, que les maires ont besoin de renforcer leurs capacités en matière de gestion communale pour être efficaces. Qu’en pensez-vous ?
En matière de renforcement des capacités, les maires ont beaucoup à apprendre, non seulement en gestion communale, mais aussi en matière de passation des marchés publics, dans le domaine d’état civil et bien d’autres. 38 ans d’absence de la décentralisation ont sevré nos populations de la gouvernance locale ; nous tous, administrés et élus locaux, irons à l’école de la décentralisation.
Jusqu’où les populations de Bas-Mono 1 peuvent-elles rêver avec Victor Anani Djogbessi à la tête de la mairie ?
J’ai un rêve pour ma communauté, c’est de transformer notre commune en un lieu où il fera mieux vivre. Avant de devenir maire de la commune de Bas-Mono 1, je suis promoteur de Radio Mokpokpo FM 90.9 MHz et d’une microfinance dont l’ensemble porte le nom de groupe Mokpokpo. Ce groupe emploie une quarantaine de personnes dont six (06) de deux (02) partis politiques et un (01) un indépendant ont été candidats aux élections municipales du 30 juin 2019 dont les résultats sont les suivants : moi-même maire, deux (02) adjoints au maire et trois (03) conseillers municipaux dont une femme. Cela prouve combien le développement de mon milieu me tient à cœur.
Ma vision est de faire de notre commune une référence, ce qui doit se traduire à court et à moyen termes par une gestion rigoureuse des biens publics, la planification efficiente du territoire communal, etc.
Un message à leur endroit ?
La pauvreté n’est pas une fatalité !
Great content! Super high-quality! Keep it up! 🙂