De la petite à la grande, du dessous de table au détournement des deniers publics, la corruption est omniprésente dans le monde et identifiée par la Banque Mondiale comme « un problème fondamental pour le développement ». Pays à actualité marquée par intermittences de scandales financiers, le Togo n’échappe pas à ce fléau et ses conséquences néfastes sur le développement. Santé, éducation, transport, tous ces secteurs en pâtissent.
Riverain de la route Lomé-Vogan-Anfoin, T. Kodjo, interrogé sur le sujet, se retient d’être bavard. Il veut s’occuper de « [son] business » que de parler de cette «affaire d’Etat ». Allusion aux manœuvres ayant marqué ce marché confié au départ à CECO BTP, qui n’a jamais pu l’exécuter et où ont été citées, à tort ou à raison, des personnalités. Véritable scandale dans lequel il a été raconté (sic) que les fonds décaissés (26 milliards FCFA) ont servi à acquérir des engins. Le gouvernement a dû réattribuer le chantier à une autre entreprise (CRBC) pour le réaliser. Des scandales pareils à fortes senteurs de détournement de fonds, le Togo en a connu.
La corruption en chiffres
10 milliards FCFA, voilà l’estimation des pots-de-vin versés par les individus et entreprises aux agents et entreprises publics au cours des 12 mois précédents, selon l’Enquête sur la Perception et le Coût de la Corruption au Togo (EPCCT) initiée en 2020 par la Haute Autorité de Prévention et de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HAPLUCIA). Toujours d’après les résultats de cette enquête entreprise pour avoir des indicateurs sur la corruption, plus de 10,6% des chefs d’entreprises avaient refusé d’effectuer des investissements majeurs pour cause de corruption et 81,3% estimaient que la corruption est un obstacle au climat des affaires. Il était aussi rapporté que les principales causes sont la pauvreté (77%), les salaires et revenus très bas (56,1%), l’impunité (30,5%) et la cupidité (23,7%). L’EPCCT est le seul référent officiel de mesure de la corruption au Togo, la petite d’ailleurs.
Comme statistiques complémentaires de sources alternatives, le Président de l’association Veille Economique, Dr Dodji Nettey Koumou, s’appuyant sur les rapports sur les Flux Financiers Illicites (FFI) en provenance des pays en développement entre 2002 et 2014 (Dev Kar, Joseph Spanjers– Global Financial Integrity), avait révélé, lors d’une conférence publique le 23 mars 2022, que les FFI sortis du Togo, souvent par la fausse facturation des opérations du commerce extérieur, s’évaluaient en 2014 à 1816 millions de dollars US (1100 milliards de FCFA), avec un pic de 4800 millions de dollars US en 2012 et 2013 (plus de 2900 milliards FCFA). Entre 2004 et 2013, le Togo était classé 3e dans l’espace CEDEAO avec un cumul de 8,31 % des FFI et 2e dans l’UEMOA avec 33,62 %, soit 25 000 millions de dollars US, plus de 15 000 milliards FCFA (Sources : Dev Kar, Joseph Spanjers – Illicit Financial Flows from Developping Countries, 2004 –2013, Global Financial Integrity, décembre 2015). Dr Koumou avait également pointé la réexportation de l’or du Burkina Faso, du pétrole et autres métaux précieux comme un cas pratique de sortie de FFI par l’évasion fiscale, se fondant sur les rapports sur le commerce extérieur de l’UEMOA (2009 – 2019) et l’avait évaluée en centaines et millier de milliards FCFA.
Erosion du développement
« La corruption a des conséquences graves sur les infrastructures socioéconomiques et les réalisations du pays. Elle nuit non seulement aux infrastructures physiques, mais aussi au développement économique ». «La corruption détourne des ressources essentielles destinées aux secteurs comme la santé, l’éducation et les infrastructures (…) Les pratiques de corruption créent un climat d’incertitude qui repousse les investisseurs étrangers et limite le financement de projets locaux». «L’impact que la corruption a sur le développement du Togo est particulièrement profond et touche tous les secteurs».
Du chercheur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion (FASEG) de l’Université de Lomé Dr Marius Apelete Togbenou au Président de la Ligue des Consommateurs du Togo (LCT) Dr Emmanuel Sogadji en passant par celui du Mouvement Martin Luther King (MMLK) Pasteur Edoh Komi, l’on est unanime sur l’impact de la corruption sur le développement. Relevant que la corruption évolue au Togo « sur un mode endémo-épidémique » et que le pays subit la grande (corruption) qui « altère fortement ses capacités de développement », Prof David Dosseh, Premier Porte-parole du Front Citoyen Togo Debout (FCTD) et médecin, se prononce particulièrement sur les réalisations manquées dans le secteur de la santé, sur la base du coût annuel des pots-de-vin (10 milliards FCFA) révélé par la HAPLUCIA.
« C’est au moins un hôpital de référence du niveau de Dogta-Lafiè tous les 2 ou 3 ans dans différentes régions du Togo ; ainsi on ne verrait plus des femmes couchées à terre pour le travail d’accouchement ou des nouveau-nés entassés à 3 ou 4 par berceau en Pédiatrie. Ce sont aussi des services de scanner ou d’imagerie performants dans tous les CHU, CHR et même les hôpitaux de districts en l’espace de 5 ans», dit-il. Et d’ajouter : « Ce sont également des salaires décents pour un personnel recruté en nombre suffisant et payé comme il se doit », désolé qu’«aujourd’hui après huit ans d’études, le médecin perçoive un salaire inférieur à 300.000 F».
Avec les trous budgétaires créés par les FFI (2900 milliards FCFA en 2012 et 2013, plus que le budget 2025 en vue, 2394,2 milliards FCFA), l’Etat pourrait dédoubler la route Lomé-Cinkassé et ainsi réduire drastiquement les près de dix mille accidents mortels et sauver des vies sur les sept cents qui se perdent annuellement sur les routes, construire plein d’autres, des milliers de kilomètres de pistes rurales et désenclaver des localités. Ces ressources volatilisées pourraient servir à doter chaque région d’université et d’écoles professionnelles pour former les jeunes aux métiers porteurs, construire plusieurs stades de Kégué, des palais de la Culture, fournir plus de moyens aux communes pour satisfaire les besoins à la base, davantage à l’armée pour combattre les terroristes et permettre aux populations des Savanes de vaquer librement à leurs activités…«Nous avons les mêmes ressources que d’autres pays, mais eux, ils se développent convenablement», déplore Dr Sogadji qui voit en la corruption la source du retard du développement du Togo.
Les défis à relever
«Tout le monde souffre des méfaits de la corruption. Il faut contribuer ensemble à la prévention et à la lutte contre le fléau». Président de la HAPLUCIA, Kimelabalou Aba recommande un combat collectif, une prise de conscience des méfaits de la corruption, l’engagement à la dénoncer, le contrôle de l’action publique. A défaut d’éradiquer le fléau, ces mesures permettraient de sauver quelques milliards de FCFA à investir dans les actions de développement. « Il faut éduquer dès le bas-âge les enfants aux valeurs d’honnêteté, de probité, d’intégrité et de rectitude pour qu’en grandissant, ils puissent les porter et mettre en œuvre», insiste-t-il.
Autre défi identifié par les sources questionnées, concéder l’indépendance, l’autonomie financière, pleins pouvoirs d’investigation et de répression à l’institution en charge de la lutte contre la corruption. La Loi N°2005-005 du 06/05/2024 portant Constitution de la République Togolaise annonce une nouvelle en remplacement de la HAPLUCIA, la Haute Autorité pour la transparence, l’intégrité de la Vie Publique et la lutte contre la corruption. Selon l’article 82, elle sera « chargée de promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics » et recevoir « les déclarations de situation matrimoniale et les déclarations d’intérêts des responsables publics ».
«Pour lutter contre la corruption, il faut simplement lutter contre l’impunité (…) Que ceux qui ont détourné les deniers publics répondent de leurs actes devant l’histoire ». Le Président de la LCT souligne, là, la grande plaie du combat contre la corruption au Togo, l’impunité identifiée par la HAPLUCIA comme l’une des causes (30,5 %) et résumée dans cette raillerie d’un concitoyen sur la toile : « Même pas un mouton n’est arrêté pour corruption au Togo ». Associer à ce défi une augmentation des salaires et revenus, installer des systèmes électroniques pour les paiements et transactions publiques permettraient de réduire les opportunités de corruption.
Aux gouvernants d’impulser la dynamique. Il devient alors impératif de cultiver la transparence et la bonne gouvernance par des actes forts, comme ordonner des audits ou enquêtes sérieuses dans des affaires révélées (fonds Covid-19, « Pétrolegate », route Lomé-Vogan-Anfoin, fonds CAN 2013 et 2017). L’on devra avoir le courage de poursuivre les hautes personnalités mêlées à des malversations, comme ailleurs où même des anciens Présidents le sont (exemple de Jacob Zuma en Afrique du Sud). Promouvoir l’effectivité de la déclaration de biens et avoirs serait une sorte de digue contre les détournements de deniers publics, l’enrichissement illicite, etc.
« Une lutte renforcée contre la corruption est indispensable pour bâtir un Togo plus juste et prospère», rappelle utilement Pasteur Edoh Komi. De la lutte contre la corruption, au demeurant, c’est tout le pays qui a à gagner. Le jeu en vaut donc la chandelle.
NYIDIKU Kwasi Agbenyo