Un Togolais combattant pour la Russie capturé et fait prisonnier de guerre…La révélation de la mésaventure du compatriote Dosseh Koulekpato a ému plus d’un. Pasteur Edoh Komi et son organisation, le Mouvement Martin Luther King (MMLK) en ont particulièrement fait leur affaire, lançant un S.O.S à l’endroit des gouvernants togolais pour intervenir auprès des autorités ukrainiennes aux fins de sa libération et de son rapatriement au pays. En attendant ce dénouement hypothétique, une vidéo (lire ici: https://youtu.be/l4p2NsJgLHE?si=YQj7iTW92a0nt5oC) publiée sur united24, la plateforme de donation créée par l’Ukraine après le déclenchement de la guerre en février 2022, fourmillant de témoignages glaçants, permet d’en savoir davantage sur ses tribulations. Et ces témoignages, Dosseh Koulekpato assure les avoir faits sans aucune contrainte.
Les raisons de son voyage en Russie
A en croire ses propres déclarations, Dosseh Koulekpato était enseignant au Togo. « J’ai une Licence en Histoire et je faisais l’enseignement, en tant que volontaire. Mais comme le salaire n’était pas élevé, je faisais aussi l’agriculture (pour pouvoir joindre les deux bouts) », indique Dosseh Koulekpato, 27 ans, questionné dans son centre de détention temporaire par la journaliste Zhenia Melnyk. Mais alors pourquoi a-t-il décidé d’aller en Russie et sur le front de la guerre opposant ce pays à l’Ukraine ? Pour les études ? L’argent ?…

« C’est le fait que je n’avais pas trouvé les moyens pour faire l’élevage et l’agriculture dans mon pays qui m’a détourné de l’idée de l’agriculture. Je me suis alors dit que je vais aller continuer mon étude en médecine et après le diplôme, je vais revenir créer un hôpital privé pour soigner les gens et après si je gagne un peu de sous, je peux me relancer dans l’agriculture. L’agriculture et l’élevage sont ma passion », confie le compatriote face à la caméra de united24.
Dosseh Koulekpato était donc allé en Russie dans l’intention de poursuivre ses études et revenir au Togo réaliser sa passion. Pas mal comme rêve. Et, soit dit en passant, le pays de Vladimir Poutine n’était pas son choix de départ. « Bien avant le décès de mon vieux, j’ai essayé d’émigrer au Canada, mais cela n’a pas marché. Pareil pour la France tout récemment où on m’a refusé le visa. C’est là que mes amis m’ont parlé de la (destination) Russie, m’assurant que cela ne coûte même pas. J’ai alors tenté le coup et ça a marché, voilà pourquoi je me suis retrouvé en Russie. Sinon je n’ai jamais envisagé de venir en Russie », souligne le compatriote.
La stratégie d’enrôlement russe
Dans la vidéo de 23 min 5 sec, le ministre ukrainien des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement, Heorhii Tykhyi révèle comment la Russie enrôle les Africains dans l’armée et les embarque au front : « Parfois, c’est au moyen de la propagande directe, et d’autres fois par des propositions (…) Mais le but principal, c’est de recruter des gens pour la guerre. La surfe parfois sur leur insécurité sociale, exploite le fait qu’ils aient besoin d’argent ou de ressources pour (nourrir) la famille, leur fait des offres et les envoie au front, les exposant ainsi à des risques sérieux de blessure ou même de mort ». Dosseh Koulekpato a été aussi grugé. Les fameuses études, il ne les aura faites que durant un mois.
« Un jour, un frère qui était dans l’armée russe, en poste à Donesk, m’a parlé d’autres opportunités pour avoir le papier (…) Il m’a dit notamment qu’on peut être policier et faire la surveillance dans la zone de Saratov et m’a encouragé à aller aux informations. Ce qu’on a fait, ne sachant pas qu’on nous guettait depuis. Arrivés là-bas, on a été curieusement bien servis le même jour (…) On ne comprenait rien et c’est après qu’on nous fait savoir qu’on a signé un contrat de guerre et donc qu’on sera déployés pour des missions», témoigne-t-il sur son recrutement (sic), l’air hagard.
« C’est typique (de la façon dont les étrangers sont enrôlés par la Russie dans l’armée). Les autorités russes ciblent les étudiants et travailleurs étrangers dont le séjour est à terme et leur font des propositions de contrats (…) Les gens ne comprennent pas toujours que cela concerne l’armée et le combat au front. C’est très dangereux et risqué pour eux. Pour ceux qui se retrouvent dans cette situation, notre conseil est qu’ils usent de tous les moyens pour déposer les armes, devenir des prisonniers de guerre (et être traités comme tels). Il y a un programme spécial en Ukraine dénommé « Je veux vivre » et destiné à eux », nous apprend le ministre ukrainien.
La capture de Dosseh au front
En Russie, Dosseh Koulekpato a été formé à tirer. Mais n’étant pas aguerri, il a été capturé à sa toute première mission. « Dans mon groupe, nous étions au nombre de six. Arrivés au front, en l’intervalle de 15 à 20 minutes, quatre des nôtres sont tombés. Il restait donc moi et un autre que j’ai perdu de vue. Je cherchais un lieu pour me protéger et j’ai vu une maison souterraine, j’y suis entré et c’est là-bas que je l’ai retrouvé (…) Nous y sommes restés trois jours durant et c’est au 3e qu’il a alerté notre commandant et lui a demandé de venir nous sauver. A côté de notre cachette, il y avait des combattants ukrainiens (…) Ils se sont rendus compte qu’il y avait quelqu’un et se sont mis à tirer sur notre abri qui s’effondré sur nous ; c’est là que j’ai perdu mon compagnon. J’ai eu des blessures partout », témoigne-t-il.

Dosseh a eu la vie sauve en faisant le mort. « La scène se passait vers 16 heures et je faisais comme si moi aussi je suis décédé, parce qu’il y avait des drones qui rôdaient dans le ciel. Je suis resté sous les décombres comme un mort jusqu’à la nuit tombée et je suis sorti. Lorsque j’ai quitté la forêt, il y avait un grand espace rempli de neige. Mais impossible de marcher car il y avait des drones partout. J’étais obligé de ramper sur des kilomètres et lorsque j’ai quitté l’espace, je me suis retrouvé sur la ligne de front entre l’Ukraine et la Russie, à bout de souffle. J’ai encore trouvé une maison souterraine et j’y suis rentré. Il y avait du sang partout, mais je m’y suis caché parce qu’il faisait aussi froid. Je suis resté là-bas jusqu’au lendemain vers 10 h. Je ne sentais plus mes pieds et mes mains (…), mais j’ai repris la route (…) A un moment, j’ai aperçu quelqu’un avec un drapeau et je suis parti là-bas ; c’est là qu’on a braqué l’arme sur moi et j’ai été capturé». Glaçant comme témoignage.
Traumatisé à vie
Dosseh Koulekpato n’aurait jamais dû se retrouver au front. « Avant de partir de Saratov, ils (nos supérieurs, Ndlr) nous ont dit que comme nous ne comprenions pas la langue, nous allions juste servir (sic). Mais à la dernière minute, c’est comme s’il y a trahison. Je ne parle pas le russe, je ne lis même pas. Il y a des gens là-bas qui le parlent bien et étaient même plus costauds que moi, on les a laissés et choisi moi, l’étranger qui ne parle pas le russe, ne maitrise même pas les outils de l’armée, pour aller au front. C’était pour me sacrifier », peste-t-il. Et ce qu’il a vu et vécu le marquera à vie. « Jusqu’alors, je n’arrive pas à dormir », confie le rescapé, et de philosopher : «Ce qu’on nous enseigne à l’entrainement, c’est carrément autre chose. Arrivé au front, c’est Dieu qui va te protéger ».
A côté du traumatisme mental, le compatriote devra trainer un physique tout le restant de sa vie. Atteint à ses jambes, il risque même une amputation, d’après le verdict du médecin. De quoi regretter sa décision de joindre la Russie et l’armée. Dosseh Koulekpato ignore si c’est lui-même qui l’a prise ou si c’est un coup de son destin. D’autant plus que personne (ou aucune partie) ne se fait visiblement violence pour le sortir de sa captivité.

La seule issue
L’alternative, la seule d’ailleurs pour recouvrer sa liberté, lui a-t-on soufflé, c’est de mettre à contribution sa famille pour plaider sa cause auprès des autorités togolaises et (faire) engager des démarches diplomatiques à cette fin. Et il est parvenu à joindre, séance tenante, sa sœur Essévi à Lomé pour l’informer de sa situation et des démarches à faire, après plusieurs tentatives infructueuses…
« Sa sœur doit contacter les autorités du Togo et les persuader d’entrer en contact avec son frère et les autorités ukrainiennes. Ils peuvent envoyer un diplomate ou trouver un arrangement avec un autre pays qui peut les représenter dignement. Mais fondamentalement, c’est à eux de contacter la partie ukrainienne et avoir accès à la prison, demander ce que les personnes elles-mêmes veulent. Si Dosseh dit qu’il veut retourner auprès de sa famille, ils doivent s’entendre avec les autorités ukrainiennes », relève le porte-parole du gouvernement ukrainien.
En attendant un tel dénouement, Dosseh Koulekpato est considéré comme un mercenaire étranger combattant pour la Russie et traité comme tel. Il continue d’égrainer ses jours dans le centre de détention temporaire, avec ses blessures et surtout ses jambes endolories, en instance d’amputation…